• LE PIED DE NEZ !

     

    Les ouvriers de la fabrique française de chaussures PANARD manifestaient depuis 6 heures du matin, ce lundi 12 Août 2001, devant leur usine, dans un froid inhabituel .
    Ayant battu la semelle durant plus de 6 heures, certains s’apprêtaient à aller casser la croûte, lorsqu’à midi et demie, un représentant de la direction les informa de la mise à pied d’un tiers des effectifs !
    A cette heure de la journée, le soleil tapait fort et les visages ruisselaient de sueur mais cela n’empêchait pas les langues d’aller bon train.
    Quelques-uns, cependant, lassés de devoir faire le pied de grue, s’en allèrent à pas feutrés entraînant avec eux quelques hésitants qui finirent par tourner les talons.
    Les plus acharnés décidèrent de rester sur le pied de guerre et d’organiser, si nécessaire, des remplacements au pied levé.
    La direction ne semblait pas s’émouvoir de la situation et attendait les responsables de pied ferme.
    Vers 4 h 30, après un repas pris sur le pouce, le responsable des relations humaines , sanglé dans un costume pied de poule, vint préciser aux manifestants, que ne seraient maintenus à leur poste, que les employés qui possédaient un pied-à-terre dans la cité.
    Pour les autres, il leur était conseillé de chercher ailleurs chaussure à leur pied.
    Le directeur s’attendait à de rudes négociations car il savait que son plan de restructuration avait son tendon d’Achille.
    Par ailleurs, les syndicats auraient tôt fait de lui démontrer que leurs espoirs étaient réduits à une peau de lapin.
    Mais, il était prêt à se battre pied à pied !
    Le prochain rendez-vous fut fixé au lendemain matin à 8h précises.
    Il était alors 17h et en cette saison le soleil se couchait tard.

     
    Aussi, pour tuer le temps et éviter de trop se casser les pieds, certains proposèrent de faire une partie de pétanque ( pieds tanqués).
    Le lendemain matin, mardi 13 août, tout le monde dès 7h45 était déjà à pied d’œuvre !
    Tous les ouvriers étaient présents avec femmes et enfants, fermement décidés à donner un coup de pied dans la fourmilière , comme ils disaient. Tous étaient là, même les plus pantouflards !
    Afin d’appuyer leurs revendications, les délégués avaient appelé en renfort de Paris, un des représentant du bureau national, un dur à cuire au tempérament bien trempé , au cuir bien tanné par des décennies de tractations.
    Il faut dire qu’à ce niveau-là des négociations, il leur fallait une pointure, quelqu’un de l’extérieur que l’on ne pouvait soupçonner d’être à la botte des patrons.
    On leur envoya donc la fine fleur des négociateurs !
    De fait, on s’aperçut que ce monsieur n’avait pas la langue dans sa poche et que la subtilité de ses arguments mit souvent le directeur dans ses petits souliers .
    D’autres que lui, moins habitués aux négociations par « petits pas » auraient été rapidement débusqués avec leurs « gros sabots » !
    Ainsi, après plusieurs heures de discussions , les deux partis purent mettre sur pied une nouvelle organisation du travail permettant le maintien de tous les emplois, mais avec une réduction temporaire des salaires.
    Les ouvriers acceptèrent pour la plupart de faire le deuil de meilleurs émoluments et préférèrent cette solution plutôt que de porter le crêpe de la perte de leur emploi.
    Quelques-uns, cependant, éternels insatisfaits ou imbéciles invétérés , faillirent tout faire capoter par leurs cris mais, sous la pression de leurs collègues, finirent par la boucler.
    Il fut enfin décidé que les accords seraient suivis au pied de la lettre.
    Dans cette affaire au dénouement heureux, tous eurent le sentiment de n’avoir pas tout perdu.
    Pas de vainqueur hautain ni de vaincu à plate couture , ni cri de gloire ni larmes de crocodile !
    Pour finir, vers 19h, un repas commun fut même organisé où chacun, membres de la direction et ouvriers , apporta son écot , sur un pied d’égalité.
    Ce fut un véritable festin où se mêlaient les spécialités les plus diverses et variées confectionnées dans la liesse par les épouses rassurées : ici, une pizza, là une quiche lorraine, plus loin un ragoût de pieds de porcs ou une blanquette de pieds de veau, ailleurs des pieds paquets à la provençale rivalisant avec des omelettes aux champignons dont le fumet n’avait rien à envier à l’odeur alléchante des pieds panés .
    Bref, une atmosphère de détente et de soulagement où chacun avait décidé de faire un pas vers l’autre . Faisant fi des convenances, le directeur qui étrennait de nouvelles chaussures qui le faisaient souffrir, les avait délacées pour que ses pieds puissent se délasser !
    Ces dames , de leur côté, s’étaient pomponnées de la tête aux pieds, rivalisant de décolletés et de parfums plus ou moins subtils , certaines célibataires pensant ainsi trouver chaussures à leurs pieds, tandis que les hommes s’étaient vêtus de leurs plus beaux costumes . Ainsi parés de pied en cap de ces attributs vestimentaires , ils espéraient inconsciemment estomper les différences sociales.
    La direction avait sauté à pieds joints sur l’occasion pour écouler les stocks de mousseux offerts par les clients lors des fêtes de Noël, et l’on eût dit le plus prestigieux des champagnes tant il brillait dans les coupes à pieds, colorées par les ors du soleil couchant.
    Chacun discutait avec son voisin ou sa voisine qu’il fut cadre ou ouvrier !
    On vit même le patron trinquer avec le délégué parisien !
    Un des ouvriers chuchota même à l’oreille de sa femme :
    «Tu ne trouves pas qu’ils font bien la paire, ces deux-là ?

    Jean-Marc AUSSET août 2001

     

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